Préambule

Le billet qui va suivre est assez personnel. C’ est une sorte de bouteille à la mer pour moi-même, une trace que je pourrais regarder plus tard en me demandant “quel chemin ai-je parcouru ?”. Je sais que je ne trouverai pas la réponse à la vie (42) en l’écrivant, mais il me permet de mettre un cap sur ma boussole. Il me permet de poser des mots et de répondre à la question d’Aaron Swartz :

What is the most important thing you could be working on in the world right now, and if you’re not working on that, why aren’t you ?

Tu veux faire quoi quand tu sera grand ?

Les gens qui ont toujours su ce qu’il voulait dans la vie me terrifient. J’ai 29 ans (quand j’écris ces lignes) et je ne sais toujours pas ce que j’ai envie de faire demain (même si ce billet essaie d’y répondre).

Quand j’étais petit, on m’a souvent posé la question du métier voulu une fois adulte. Si je comprends le raisonnement derrière, faire en sorte que les enfants comprennent la notion d’orientation, de choix, de responsabilités, il en reste qu’une fois adulte on peut se retrouver démuni si l’on s’écarte du chemin. Car si l’on nous aiguille très rapidement selon nos préférences et nos capacités, il est beaucoup plus rare que l’on nous inculque la notion de changement de parcours, du droit de se tromper dans les études et dans notre vie en général.

Je suis tombé dans l’informatique et les jeux vidéos quand j’étais petit. Comme beaucoup de garçons de mon âge d’ailleurs. J’aimais les maths, la physique et la science en général (et c’est toujours le cas). Je n’étais pas très lettres, ni économie (je le suis beaucoup plus maintenant). C’est donc tout naturellement qu’on m’a dirigé vers l’ingénierie informatique. J’ai quitté ma campagne et je suis monté sur Paris faire mes études. J’allais devenir développeur, peut être même dans le jeux-vidéo, peut être même dans une grosse entreprise réalisant des jeux ultra connus. J’allais bien gagner ma vie, avoir des enfants et une voiture. Bref, le bon macronniste en devenir.

J’ai rencontré là-bas le monde des Startups, des SS2I, des grosses boîtes. Et j’ai pris un parpaing. Tout ce monde de clients, de pognon, de faire au plus vite pour pouvoir gagner le plus possible. Je ne m’y retrouvais pas. Moi j’aimais sortir avec des potes pour jouer à street fighter, j’aimais bricoler des PC et monter des serveurs pour jouer à minecraft. Toutes ces histoires de management, de rentabilité… Au secours ! Mais j’y ai aussi découvert le monde du libre, de l’open source et du partage. Qui me ressemblait beaucoup plus. Qui me rappelait que j’adore le modding, la bidouille, j’adore faire fonctionner ensemble ce qui n’est pas prévu pour l’être, et voir que d’autres gens en font de même. Sans histoire d’argent, de rentabilité. J’aimais l’informatique, mais je ne voulais pas passer mes journées à pisser du code pour une boîte faisant des trucs ne m’intéressant pas.

Et ce fut sûrement le dernier clou du cercueil. J’ai quitté Paris et j’ai fuis pour Nantes. Une ville plus petite, plus calme, que je connaissais déjà puisque j’y venais souvent. J’y ai rencontré le monde associatif et social, mais aussi le monde culturel. Mais surtout, je suis tombé amoureux du Cinéma.

Un questionnement qui devient une obsession

Pour être honnête, j’ai commencé à manger de la pellicule en dernière année sur Paris. Je sortais du travail et j’allais passer ma soirée le cul vissé sur un siège, devant une toile immense. Mais c’est sur Nantes, en ayant enfin autre chose qu’un logement étudiant, que j’ai commencé à m’intéresser vraiment au médium. À sa production, sa diffusion. J’ai pris des blu-rays, un vidéoprojecteur, j’ai commencé à faire les séances spéciales et les festivals de ma ville. Bref, je devenais un cinéphile.

J’ai aussi (re-)rencontré le monde des livres, de la SF et des BD tout particulièrement. Monde que je dévorais étant petit mais que j’avais un peu délaissé, faute d’argent. Et c’est en essayant de retrouver de vieux livres que je suis tombé dans ce puits sans fond : certaines œuvres n’étaient plus disponibles, sauf à bien chercher en occasion. Le cinéma avait le même problème. Le jeu vidéo aussi. Des pans entiers de la culture, de ma culture, était restreint aux souvenirs, faute de supports accessibles. Et pourquoi ? Pour des questions d’argent. De droits d’auteurs. De mec dans des bureaux qui avaient des droits mais qui refusaient d’en faire quelque chose. De plateforme qui se disait que finalement, si ça ne fait pas de vue, autant ne pas encombrer le catalogue.

Bien sûr, je ne parle que d’offres légales. Ceux qui ont déjà mis les doigts dans les réseaux pirates savent qu’on peut y trouver des millions de trésors, pépites conservées et introuvables ailleurs. Des animés taïwanais oubliés, des films en version originale modifiés depuis par les créateurs (*tousse* Star Wars *tousse*), des musiques punk dont le label a rendu l’âme depuis longtemps. Je suis un pirate et je le serai sûrement toute ma vie. Et je pourrais m’en contenter. Mais le piratage reste une réponse à une absence, une marge qui existe faute de mieux. C’est pour ça que je pense que l’on peut faire mieux.

L’avènement des plateformes de streaming vidéo nous aura montré ce qu’il ne faut pas faire. Le piratage de musique est une niche, Spotify et Deezer ayant pratiquement réglé le problème d’accessibilité (ils amènent d’autres problèmes sur la répartition de la richesse, mais ce n’est pas le sujet). Les jeux vidéo n’ont que peu de plateformes, Steam règne et il est donc plus aisé que jamais d’avoir accès à un jeu. Mais le cinéma a pris une mauvaise route. Combien de plateformes différentes ? Avec des catalogues changeants ? Avec des séries où il manque des saisons ? Quand je fais le tour de mes amis, la grande majorité ont plusieurs abonnements.

J’ai conscience que tout ça, c’est des problèmes de pays riches. Que des gens crèvent de faim en traversant la méditerranée, et que devoir choisir entre Netflix ou Amazon prime, ce n’est pas si grave. C’est vrai, je ne le remettrais jamais en question. On peut pourtant s’indigner des deux. Militer pour que les gens reçoivent des conditions de vie décentes. Militer pour que la connaissance et la culture soient accessibles à tous et toutes, sans préoccupation d’actionnaire.

Moi j’ai un rêve

Avec le recul, je me rends bien compte que j’ai un problème avec le capitalisme. Je n’aime pas l’argent, je n’aimerai sûrement jamais ça. Je n’aime pas plus que ça en gagner, c’est surtout notre modèle qui m’y oblige. C’est pour moi une discrimination de classe, un outil qui permettra toujours un rapport de force, qui engendrera forcément des riches et des pauvres. Et surtout, ce qui n’est plus rentable doit disparaître. Ce constat est-il acceptable quand on parle de la culture, des œuvres ? Pour que l’on se fasse chier à conserver des sculptures, des tableaux, des objets vieux de plusieurs siècles, plusieurs millénaires, c’est que tout cela doit être important, nan ? Que cela nous enseigne des choses sur l’histoire, les sciences humaines comme les sciences dures, n’est-ce pas ? C’est ce que je crois. L’art doit être conservé et partagé au plus grand nombre. Autant se faire que peut. Car j’ai bien conscience des principes d’entropie, et que il y a toujours de la perte. Mais on peut tout de même limiter les dégâts.

Laisser ce travail à des entreprises dont le but principal est le chiffre d’affaires annuel n’est pas une bonne solution. Il en est du ressort des peuples, du commun de gérer cette problématique. Et c’est déjà plus ou moins le cas : le dépôt légal, la BnF, les cinémathèques, tous ces organismes conservent des œuvres. Mais peut-on y accéder facilement ? Sous quel format, quelle qualité ? Est-on soumis à des DRM, des utilisations particulières ? C’est le cas si vous achetez un film sur la plupart des plateformes vidéo. Point de fichier .mp4, il faut utiliser l’application ou le lecteur de l’entreprise. Et dommage pour vous si vous n’avez pas internet à un moment ou si, par exemple, vous utilisez un ordinateur sous Linux.

Et pour autant, des livres, des films, des musiques restent inaccessibles par les canaux standards. Alors je rêve d’une alternative. Que cela soit simple de pouvoir accéder à une œuvre culturelle. Que si une œuvre a un jour foulé le sol français, qu’elle ne puisse en disparaître. Que si personne ne veuille la diffuser, qu’elle soit diffusée par une instance officielle. Que demain, si j’ai envie de lire un vieux livre, film ou autre, que je sache exactement où chercher. Je ne demande pas que demain, l’intégralité des œuvres deviennent gratuites (même si ça serait vachement cool). Nous vivons dans un certain modèle économique et il faut que les gens soient rémunérés pour leur travail. Je dis que l’accessibilité devrait primer. Je dis même que si une œuvre ne l’est pas, personne ne gagne d’argent. Ouai les capitalos, ça s’appelle un manque à gagner.

Et ?

J’ai donc envie de faire ça. De me renseigner, de m’instruire, d’étudier la question. Je le fais déjà depuis des années, mais l’écrire est un peu un coup de pied au cul. J’ai envie d’une structure répondant à ses problèmes. J’ai envie d’y participer, ne sachant pas encore sa forme. Ce que je sais par contre, c’est qu’elle devra répondre à ces critères :

  • Ne pas avoir un but lucratif. Le but ne sera jamais de faire de l’argent.
  • Une œuvre ne pourra pas disparaître du catalogue. C’est la problématique principale. Il faudra des changements légaux pour y parvenir. Je le sais mais c’est ce que je veux.
  • Donner aux gens de la qualité. Respecter l’autre, c’est essayé de lui donner la meilleure version possible d’une œuvre.
  • Des formats ouverts. Brûlons les DRM, indignons nous des achats nous limitant. Tu achètes un film, tu reçois un fichier vidéo, point barre.

Est-ce réalisable ? Je ne sais pas. Je l’espère. Mais c’est la chose la plus importante pour moi aujourd’hui (après le réchauffement climatique). Il faudra sûrement commencer par le domaine public. J’ai bien conscience que la citation d’Aaron Swartz en préambule tourna à l’obsession pour ce dernier, et je sais combien cela peut ronger une personne. Je ne veux donc pas dire que je vais réussir, mais au moins je veux pouvoir dire que j’ai essayé.